Introduction
Les quatre préceptes que sont les prières collectives, les peines légales, le jihâd et les versements légaux, n’appartiennent pas aux principes de la religion (usûl)mais sont des branches (furû‘) dérivées des principes qui ont été codifiées plusieurs siècles après l’apparition de l’islam. Pour arriver à une juste compréhension des quatre préceptes, il convient d’abord de savoir à quelle époque et sous l’impulsion de quelles personnes ils sont apparus. Quels édifices ont été bâtis sur ces fondements ? Comment se sont-ils perpétués jusqu’à nos jours ?
Pour répondre à ces questions et à d’autres questions existantes au sujet des quatre préceptes, dans l’école de pensée shî‘ite et en période d’occultation, il faut commencer par étudier les œuvres des savants et des personnes qui ont développé à ce sujet des vues théoriques. Il est clair que la connaissance de tous les savants ayant émis quelque vue ou prétention sur ces préceptes, des courants de pensée et des affaires politiques qui prédominaient à l’époque de ces auteurs, est une entreprise considérable. Pour comprendre la nature de leurs théories, un aperçu général de l’ambiance intellectuelle et du régime politique de leur époque nous sera nécessaire. Il convient en effet de rappeler les conditions historiques de la formation de ces préceptes avec un regard critique, pour avoir une chance d’atteindre une meilleure connaissance et une juste évaluation de la réalité. L’analyse sémantique des mots-clés et leurs liens mutuels s’avèrera aussi particulièrement importante.
Pour effectuer une recherche sur les « quatre préceptes » du shî‘isme en période d’occultation, pour connaître les étapes différentes de leur évolution, il est nécessaire de déterminer l’apparition de ces préceptes et de procéder à une brève définition de chacun d’entre eux. Nous savons que les quatre préceptes font partie des règles juridiques dérivées de la religion islamique. Nous savons que l’édifice dogmatique repose depuis le début sur deux bases fondamentales : les principes de la foi (usûl), dans lesquels tout musulman doit croire, et les branches (furû‘), ou l’application de ces mêmes principes dans les domaines politique, économique, social et culturel, que le musulman doit pratiquer dans sa vie quotidienne.
Il apparaît que dans le Coran et les hadiths les plus anciens, qu’ils soient de sources shî‘ites ou sunnites, les « branches de la religion » ne sont pas explicitées et codifiées, mais que ce qui existait était un système de préceptes et de valeurs comprenant d’une part, le blâme de « mauvaises actions » (munkar[1]) comme l’obéissance aux tyrans, le meurtre, différentes espèces de crimes, la débauche, et, d’autre part, la recommandation de « bonnes actions » (ma‘rûf[2]) comme la justice, le pardon, l’aide à l’opprimé, l’équité, l’aumône, la foi monothéiste, le bien-parler et le bien-agir, la piété et d’autres choses. Bien que les pratiques selon les principes et les branches du droit sous leur forme actuelle ne se trouvent pas dans le Coran[3], certains juristes et théologiens se sont efforcés de les trouver dans les textes des versets et des traditions rapportées, afin de les présenter aux gens sous leur forme actuelle[4].
Les principes dogmatiques de la religion sont dans le shî‘isme au nombre de cinq, les quatre premiers étant communs avec l’islam sunnite : 1. La proclamation de l’unicité divine (tawhîd), c’est-à-dire du fait que Dieu, le savant, est un, dans le sens d’un retour à la nature foncière ou d’une nouvelle relation à la création et à soi, d’une libération complète à l’égard du pouvoir des divinités illusoires. 2. La prophétie (nubuwwa), selon laquelle Muhammad Ibn ‘AbdAllâh est l’Envoyé de Dieu. 3. Le terme final (ma‘âd), soit la résurrection, le jour du Jugement dernier ou du compte des actions en présence de Dieu, quand tous les hommes seront réunis et que chacun recevra la récompense ou la punition de ses actes. 4. La justice (‘adl), au sens de la justice de Dieu qui s’applique d’après le mérite et ne peut être injuste à l’égard de quiconque du fait de sa miséricorde. 5. L’imâmat (imâma), au sens où après le Prophète de l’islam, la guidance spirituelle et temporelle se poursuit avec douze imâms impeccables, depuis le premier, ‘Alî b. Abî Tâlib, jusqu’au douzième l’imâm Mahdî.
Les branches de la religion consistant à accomplir le culte et les rites qui, dans la doctrine shî‘ite, sont aussi appelés les préceptes légaux, sont au nombre de dix, les huit premiers étant communs avec le sunnisme : la prière, le jeûne, le pèlerinage, l’aumône, l’impôt du cinquième, la guerre sainte (jihâd), le commandement de la bonne action, le blâme de la mauvaise, la proclamation d’amitié (tawallî) pour les imâms et la dissociation rituelle (tabarru’) à l’encontre des ennemis des imâms.
Notre étude portera d’abord sur les quatre préceptes, c’est-à-dire quatre des dix préceptes légaux énumérés ci-dessus avant de se concentrer sur le jihâd et l’une de ses formes. Pourquoi ces quatre préceptes ? Comment sont-ils appliqués dans le shî‘isme en période d’occultation de l’imâm impeccable, pilier de cette religion ? Quel processus ont-ils suivi en cette période ?
[1] Coran, sourate II, versets 169 et 268 ; III, 21 et 80 ; IV, 37 ; IX, 67 ; XI, 59 et 97 ; XII, 53 et 102 ; XXVI, 151, etc.
[2] Coran, II, 43 et 268 ; III, 104 ; IV, 58 et 114 ; VI, 163, etc. Voir É. Chaumont, art. « Ordonner le bien et interdire le mal », dans M. A. Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, 2007, p. 620-623.
[3] Seyyed Mahmûd Âlûsî, Rûh al-ma‘ânî, II, p. 76.
[4] Farhang-e ma‘âref-e eslâmî, I, p. 222.